Auteurs: Michel Rohrbach (à gauche) et Alexander Gerlings (à droite), Codirecteurs du Centre IDES
Les codirecteurs d’IDES évoquent le défi de décrire le système éducatif suisse à la fois dans son ensemble et avec ses spécificités cantonales et régionales.
La scolarisation à domicile est-elle autorisée en Suisse? Pour ne pas devoir se résoudre à répondre à une telle question par «cela dépend du canton», il faut disposer de connaissances détaillées sur les points communs et les distinctions entre les systèmes scolaires de chaque canton.
Le centre d’information et de documentation IDES a notamment pour mission de mettre à disposition des informations sur le système éducatif suisse et sur ses caractéristiques spécifiques cantonales ou régionales. Pour remplir ce mandat, IDES met régulièrement à disposition des sources d’information continuellement actualisées. Il s’agit par exemple du site Système éducatif suisse ou des graphiques sur les structures scolaires cantonales, ou encore des résultats de l’enquête auprès des cantons. Par ailleurs, les services d’IDES sont toujours sollicités lorsqu’il s’agit de répondre à des questions spécifiques sur le système éducatif suisse en provenance de Suisse aussi bien que de l’étranger. C’est le cas par exemple dans le cadre du réseau européen d’information sur les systèmes et les politiques en matière d’éducation Eurydice.
Le problème
Dans les questionnaires d’Eurydice, la consigne est toujours la suivante: «Whenever possible, Germany, Spain and Switzerland should provide information on official documents issued at federal or national level. In case such documents are issued at lower public authority level, they are invited to report on up to three Länder, Autonomous Communities or language regions/cantons. They should be the ones considered as the most representative in relation to the topic addressed». Il n’est pas très difficile de deviner pourquoi ces trois pays ont l’honneur d’être nommément cités. Contrairement aux systèmes centralisés, les réalités parfois très hétérogènes des États membres des systèmes décentralisés doivent être ramenées au plus grand dénominateur commun national. Comment éviter, alors, de se mettre à vouloir chercher la quadrature du cercle?
Les solutions envisageables
Pour pouvoir maîtriser cette tâche, deux groupes de connaissances complémentaires sont nécessaires: le système éducatif suisse dans son ensemble ne peut être décrit de manière synthétique que si l’on fait abstraction de certaines particularités cantonales et/ou spécifiques des régions linguistiques. Cela présuppose toutefois que l’on puisse définir ce qui constitue une particularité cantonale ou régionale et ce qui a été réglé de manière uniforme ou, du moins, harmonisé au niveau national. Dans ce dernier cas, et pour une question donnée, la réponse est généralement rapide et précise.
Le problème se corse lorsqu’il n’existe pas de modèle national ni intercantonal. Dans ce cas, la somme des caractéristiques cantonales ou éventuellement régionales devient constitutive du système global. S’il est question de données statistiques, on peut éventuellement s’aider de valeurs moyennes. En revanche, dans le cas de situations réglées différemment en termes de structure et de contenu, nous voilà confrontés à la tâche de déterminer s’il existe parmi les cantons un modèle majoritaire qui reflète de manière aussi représentative que possible la situation dans l’ensemble du pays. Cette approche est utilisée par exemple pour affirmer que le degré secondaire I dure trois ans en Suisse – en omettant bon gré, mal gré, la scuola media de quatre ans du canton du Tessin.
Pour d’autres questions, par exemple sur les contenus des programmes scolaires, la représentativité est en général déjà nettement plus limitée. Ainsi, pour le dernier rapport d’Eurydice sur l’enseignement des mathématiques et des sciences, seul le plan d’études alémanique, le Lehrplan 21, a été pris en compte, notamment en raison du fait que l’enseignement des sciences est intégré dans des groupes de matières différents au sein des plans d’études régionaux. Parfois, malgré toute notre bonne volonté, nous devons renoncer à faire une déclaration générale sur la situation en Suisse, tout simplement parce qu’il est impossible de trouver un dénominateur commun satisfaisant. Comment répondriez-vous, par exemple, à la question de savoir si l’enseignement à domicile est autorisé en Suisse et, le cas échéant, dans quelles conditions?
Nous évitons autant que possible de choisir la réponse missing, car elle laisserait entendre que la Suisse n’a pas de stratégie en matière de politique éducationnelle pour ce domaine en particulier. Nous devons parfois nous y résoudre, mais une telle absence de réponse est souvent due au fait qu’aucun modèle dominant n’émerge des solutions cantonales. Et dans cette situation, l’option proposée par Eurydice de citer trois cantons à titre d’exemples représentatifs n’est souvent pas valable pour la Suisse avec ses 26 cantons et ses quatre régions linguistiques. Dans un contexte national par contre, IDES s’efforce de rassembler et de présenter de manière synthétique les bases légales de tous les cantons concernant différents thèmes, par exemple dans la série des dossiers thématiques IDES.
Le résultat
On pourrait objecter que ces difficultés et le travail accru de collecte et d’analyse des données qui en découle sont dus, une fois de plus, au patchwork ou, comme disent nos voisins d'Outre-Sarine de manière plus péjorative encore, au Flickenteppich qui constitue la Suisse. Ce n’est certes pas faux, mais quiconque se penche plus longuement sur le système éducatif suisse voit aussi la richesse et la capacité d’adaptation de cette entité bigarrée qui prend en compte les différentes couleurs et textures de son environnement sans céder à la tentation de capturer toute la palette des besoins et des réalités cantonales et régionales en un concept monochrome. Nous relevons donc volontiers le défi de décrire le système éducatif suisse – malgré la nécessité de simplification de cette description – dans toute sa diversité et sa richesse.