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Système scolaire suisse: entre Helvétie et Révolution française

07/08/2024

En Suisse, l’idée d’une école obligatoire existait déjà bien avant la révision totale de la Constitution fédérale de 1874. La voie fut tracée par le programme éducatif ambitieux de Philipp Albert Stapfer, ministre des Arts et des sciences de la République helvétique.

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Après l’invasion des troupes françaises, en 1798, la République helvétique formait un État unitaire selon des principes démocratiques, sur le modèle de la France. L’importance accordée par la République helvétique à l’éducation et à l’enseignement se reflétait déjà dans son plan financier. En effet, le système éducatif y représentait, après les dépenses militaires, le deuxième poste le plus important, avec un budget de deux millions de francs suisses. Si la Constitution helvétique ne comportait pas de mention explicite de l’éducation ou de l’enseignement, les objectifs et les intentions du gouvernement en matière de pédagogie étaient inscrits dans ce qui était appelé le catéchisme constitutionnel. Un chapitre spécifique y était consacré à l’enseignement, institué comme une condition préalable à l’exercice des fonctions publiques, accessibles dans le nouveau régime à tous les citoyens.

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Chapitre dix-septième. De l’enseignement public. Extrait tiré d’un ouvrage de 1798 (en allemand) expliquant le contenu de la Constitution helvétique en questions et réponses (crédit : Bibliothèque de l’EPF de Zurich)

Démocratie, école publique et chose publique

Le projet de loi nationale sur l’éducation et tout particulièrement le vaste plan politique d’école obligatoire se révélèrent très ambitieux. Le ministre Stapfer présenta ces deux documents au Directoire, l’exécutif de la République helvétique, cinq mois seulement après son entrée en fonction. L’influence du concept d’«instruction publique», issu de la Révolution française, est indéniable. En effet, Ph. A. Stapfer séjournait à Paris lorsqu’il fut nommé ministre des Arts et des sciences, et eût donc pour mission de s’enquérir avant son retour de projets éducatifs pertinents pour la Suisse. En guise d’ouvrage de référence, il opta pour le projet, considéré à l’époque du séjour de Ph. A. Stapfer en France comme véritablement pionnier, du Marquis Condorcet[1], mathématicien et girondin.

Le projet de loi de Ph. A. Stapfer, intitulé Projet de loi sur les écoles élémentaires, comprenait quatre parties. La première traitait, en lien logique avec la notion de démocratie représentative, de la transformation des écoles inférieures en écoles citoyennes générales, élémentaires ou primaires. La deuxième partie était consacrée aux enseignantes et enseignants et contenait des dispositions réglant leur salaire et leur garantissant la mise à disposition d’une maison avec jardin. La troisième partie, la plus détaillée, énonçait la structure, le contenu et la méthode d’enseignement. L’enseignement primaire y était organisé en trois niveaux: une classe introductive, une classe moyenne pour les enfants de 8 à 13 ans et une classe préprofessionnelle. L’éventail des matières enseignées comprenait les contenus nécessaires à l’exercice indépendant d’une profession. Au-delà de la lecture et de l’écriture, il comportait l’apprentissage de nouvelles langues, en particulier les langues nationales, des matières scientifiques, de l’enseignement moral et civique et de l’exercice physique. En ce qui concerne la méthode d’enseignement, on s’appuyait à cette époque sur le sensualisme[2]. Celui-ci s’était imposé en France comme base pour le développement des sciences et comme méthode éducationnelle et pédagogique. La quatrième partie était consacrée à la réglementation des compétences de l’État en matière d’enseignement.

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Théâtre de Besançon, Coup d'oeil’ (Claude-Nicolas Ledoux, L’architecture, 1804, Taf. 113), Crédit iconographique: Phantasia -  Volume 5 - 2017: Architecture, espace, aisthesis 

La méthode sensualiste repose sur l’épistémologie du Traité des sensations d’Étienne Bonnot de Condillac (1714–1780), publié en 1754, dans lequel les capacités et les connaissances des êtres humains sont expliquées en relation avec les différents sens.

Des conseils d’éducation dotés d’une liberté d’action

Après avoir été élagué par le Directoire puis le Grand Conseil et, enfin, le Sénat – sans que l’on sache précisément pourquoi –, le projet de loi fut finalement rejeté définitivement le 2 janvier 1800. La loi scolaire qui avait été adoptée à titre temporaire par le Directoire en 1799 est donc restée en vigueur. Elle devait permettre l’école pendant l’hiver et garantir le maintien des règlements scolaires antérieurs, pour autant qu’ils ne soient pas en contradiction avec la Constitution. Un élément qui s’est avéré important dans ce contexte a été la constitution, dans les cantons, d’organes de surveillance du système éducatif: les conseils d’éducation. En leur qualité d’administrations scolaires gérées sous forme de milices publiques, ces conseils étaient chargés de développer le système éducatif et d’en assurer la surveillance. Une autre de leurs tâches consistait à mener une enquête sur l’état de l’ensemble des établissements scolaires du canton: ils devaient régulièrement nommer des inspecteurs scolaires et rendre compte des observations de ces derniers.

Dès le départ, les conseils d’éducation furent dotés d’un degré élevé d’autonomie et leur composition mixte, associant des représentants laïcs et religieux, leur valut d’être largement acceptés au sein des cantons. Institués à l’origine pour renforcer la participation publique aux questions d’éducation et de formation, ils ont, en fin de compte, également contribué à consolider le fédéralisme scolaire.

Bien que le projet de loi de Ph. A. Stapfer ne soit jamais entré en vigueur, les conseils d’éducation en avaient connaissance; en effet, une lettre leur ayant été adressée comprenait en annexes le projet de loi et le message y relatif, qui était d’ailleurs beaucoup plus exhaustif que le commentaire de la loi. Ce message comprenait un concept qui s’est révélé aussi déterminant que le projet de loi pour les évolutions ultérieures en Suisse. Dans ce concept, Ph. A. Stapfer proposait un système scolaire national uniforme, institutionnalisé par l’État et accessible à tous les enfants, indépendamment de leur origine.

Dans sa conception, le système éducatif pyramidal comprenait comme premier niveau l’enseignement civique, dispensé dans des écoles communales élémentaires ou primaires. Le deuxième niveau du système consistait en un enseignement savant dispensé dans des gymnases situés dans les capitales cantonales et le troisième niveau en une « école centrale » ou une école polytechnique unique pour toute l’Helvétie, au sein de laquelle les trois cultures (sic !) de la République devaient être représentées. Afin de garantir la perméabilité au sein du système selon le principe de la méritocratie, le projet prévoyait de payer aux élèves talentueux[3] un enseignement secondaire si leurs parents n’en avaient pas les moyens. Les cantons auraient ainsi été tenus d’octroyer cinq bourses par an. Le message prévoyait également un enseignement obligatoire pour les garçons et les filles dès 5 ans révolus, avec une durée d’enseignement par jour d’école de six heures en hiver et de quatre heures en été. Le message comportait par ailleurs une esquisse de plan d’offre, selon lequel il fallait garantir la création d’une école primaire par tranche de 500 habitantes et habitants. Enfin, point important, il était proposé d’instituer un médecin par district scolaire, chargé d’examiner régulièrement les enfants scolarisés et de leur donner des leçons d’hygiène.

Une classe d'école au Tessin vers 1870 avec ses pupitres à l'extérieur en plein air
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Ritratto di una scolaresca all’aperto a Roccabella, Crédit iconographique: Fondazione Archivio Fotografico Donetta

L’état du système scolaire: enquête Stapfer de 1799

Après la dissolution de la République helvétique, les conseils d’éducation et un réseau de différentes personnes[4] sont restés en place, faisant office jusque dans le courant du XIXe siècle de médiateurs et d’organes responsables du programme éducatif helvétique. Les conseils d’éducation contribuèrent d’ailleurs aussi largement à la fédéralisation du système éducatif suisse. En ce qui concerne l’enseignement primaire, ils pouvaient déjà s’appuyer sur un taux relativement élevé de fréquentation des écoles, comme le montre l’enquête scolaire de Stapfer de 1799.

Au moment de l’entrée en vigueur provisoire de la loi scolaire, le ministre Ph. A. Stapfer a écrit à l’ensemble des membres du corps enseignant pour se faire une idée de l’état du système scolaire. Le questionnaire contenait plus d’une cinquantaine de questions sur l’administration et l’organisation de l’école, sur les matières enseignées, sur le personnel enseignant et sur les élèves. Comme le montre l’enquête scolaire, qui n’a que récemment fait l’objet d’une analyse approfondie, le degré de fréquentation des écoles à cette époque, filles et garçons confondus, était élevé voire très élevé, y compris dans les régions catholiques et dans les régions rurales. L’irrégularité de la fréquentation que l’on constate malgré l’inscription de la scolarité obligatoire dans les règlements scolaires locaux était due à plusieurs facteurs, avant tout de nature géographique, notamment les longs trajets jusqu’à l’école, ou le manque de locaux scolaires. La situation économique des parents pouvait aussi jouer un rôle.

Il existait par ailleurs de grandes différences entre les cantons concernant l’âge de début et de fin de scolarité et concernant la durée de la période annuelle de scolarisation. Dans les communes rurales, cette dernière se limitait à l’hiver (de la Saint-Martin jusqu’à Pâques). D’après les réponses indiquées dans l’enquête Stapfer, les écoles d’été n’étaient pratiquées qu’à Zurich, à Bâle, à Berne, en Thurgovie, à Schaffhouse, à Fribourg et dans le canton de Vaud. À la fin de la scolarité, il était courant de passer des examens portant au minimum sur les capacités en lecture. Le taux de réponse à l’enquête scolaire a dépassé toutes les attentes. Sur les 2900 questionnaires qui devaient être remis à l’inspecteur, on en dispose aujourd’hui encore de quelque 2400 dûment remplis. En outre, près d’un enseignant sur cinq a saisi l’opportunité offerte d’ajouter une remarque (non standardisée), sous forme de suggestion ou d’explication.

Conclusion: les écoles primaires, présentes sur l’ensemble du territoire et bien fréquentées pour l’époque et en comparaison internationale, la participation publique aux questions d’éducation par le biais des conseils d’éducation cantonaux et des inspecteurs locaux, ainsi que les efforts fournis par la République helvétique en matière de politique éducative, en inisistant pour que ces efforts touchent l’ensemble du territoire, ont déployé leurs effets bénéfiques bien au-delà de la période républicaine, jusqu’à l’arrivée de l’article constitutionnel de 1874.

[1] Marie Jean Antoine Nicolas Caritat, Marquis de Condorcet (1743–1794)

[2] La méthode sensualiste repose sur l’épistémologie du Traité des sensations d’Étienne Bonnot de Condillac (1714–1780), publié en 1754, dans lequel les capacités et les connaissances des êtres humains sont expliquées en relation avec les différents sens.

[3] Les sources ne permettent pas de déterminer avec suffisamment de précision si cette mesure était réservée aux garçons.

[4] Avec, en tête de file, Paul Usteri, rédacteur en chef du journal Schweizer Republikaner, Albrecht Rengger, Hans Conrad Escher et Frédéric-César de La Harpe.

Sources :

Baczko, Bronislaw : Une Éducation pour la Démocratie. Textes et projets de l’Époque révolutionnaire. 2e édition, revue et corrigée. Genève : 2000.

Bütikofer, Anna : Das Projekt einer nationalen Schulgesetzgebung in der Helvetischen Republik (1798-1803). In : Criblez, Lucien (Hrsg.) : Bildungsraum Schweiz. Historische Entwicklung und aktuelle Herausforderungen. Bern : Haupt : 2008 (S. 33-56).

Bütikofer, Anna : Staat und Wissen. Ursprünge des modernen schweizerischen Bildungswesens im Diskurs der Helvetischen Republik. Haupt, Bern : 2006.

Erklärung der Helvetischen Konstitution in Fragen und Antworten : 1798. https://www.e-rara.ch/zut/content/structure/8428501

Fuchs, Markus : Die gesetzlichen Grundlagen des niederen Schulwesens in der Helvetischen Republik im Vorfeld der Schul-Enquête. In : Tröhler, Daniel (Hrsg.) : Volksschule um 1800. Studien im Umfeld der Helvetischen Stapfer-Enquête 1799. Bad Heilbrunn : Julius Klinkhardt : 2014 (S. 75-88). 

Luginbühl, Rudolf : Philipp Albert Stapfer, helvetischer Minister der Künste und der Wissenschaften (1766-1849). Basel : E. Detloff's Buchhandlung, 1887.

Osterwalder, Fritz : Der Helvetische Bildungsplan – eine kühne Strategie oder ein schwieriger Kompromiss ? In : Tröhler, Daniel (Hrsg.) : Volksschule um 1800. Studien im Umfeld der Helvetischen Stapfer-Enquête 1799. Bad Heilbrunn : Julius Klinkhardt : 2014 (S. 231-248).

Projet de loi sur les écoles élémentaires. In : Luginbühl, Rudolf : Philipp Albert Stapfer, helvetischer Minister der Künste und der Wissenschaften (1766-1849). Basel, E. Detloff's Buchhandlung 1887, S. 526-536.

Ruloff, Michael Christian : Konkurrenz, Eifersucht und Schulbesuch um 1800. In : Tröhler, Daniel (Hrsg.) : Schule, Lehrerschaft und Bildungspolitik um 1800. Neue Studien im Umfeld der Helvetischen Stapfer-Enquête von 1799. Bad Heilbrunn : Julius Klinkhardt : 2016 (S. 49-60).

Ruloff, Michael Christian : Schule und Gesellschaft um 1800. Der Schulbesuch in der Helvetischen Republik. Bad Heilbrunn : Julius Klinkhardt : 2017.

Stapfer-Enquête : https://www.stapferenquete.ch

Tröhler, Daniel : Die bildungsgeschichtliche Relevanz der Stapfer-Enquête. In : Tröhler, Daniel (Hrsg.) : Schule, Lehrerschaft und Bildungspolitik um 1800. Neue Studien im Umfeld der Helvetischen Stapfer-Enquête von 1799. Bad Heilbrunn : Julius Klinkhardt : 2016 (S. 7-14).


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