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12.11.2025

La formation professionnelle, garante de la mobilité sociale

La formation professionnelle encourage la mobilité sociale et économique. Une telle affirmation peut sembler paradoxale: les personnes ayant obtenu un diplôme de formation du degré tertiaire bénéficient en général d’un statut social et de revenus nettement plus élevés, dus en grande partie à l’obtention d’un diplôme universitaire et au nombre d’années d’études effectuées. Déconstruisons cette apparente contradiction avec trois affirmations qui, considérées dans leur ensemble, expliquent en quoi la formation professionnelle contribue de manière décisive à la mobilité sociale.

Auteur

Auteur invité*: Stefan Wolter, Directeur de l’agence spécialisée Centre suisse de coordination pour la recherche en matière d’éducation (CSRE)

Éviter que les jeunes n’abandonnent leur formation

Sur l’ensemble de leur carrière professionnelle, les titulaires d’un diplôme de l’enseignement tertiaire gagnent souvent des revenus nettement plus élevés (quelque 40 % de revenus supplémentaires par rapport aux autres travailleurs et travailleuses). Dans de nombreux pays, il apparaît cependant qu’une part non négligeable de jeunes se voit fermer la porte des études supérieures, nombre d’entre eux échouant déjà au moment d’obtenir un diplôme de formation postobligatoire. Dans ce cas, les revenus élevés qui s’associent à un diplôme du degré tertiaire sont tout bonnement hors d’atteinte des personnes en question.

C’est là toute l’importance d’avoir un système de formation professionnelle bien rodé. Bien souvent, c’est ce qui évite que les jeunes ne décrochent et, au contraire, garantit que le plus possible d’entre eux obtiennent un diplôme du degré secondaire II. Certes, la Suisse n’atteint pas tout à fait son objectif ambitieux visant à ce que 95 % des jeunes de 25 ans possèdent un diplôme du degré secondaire II. Elle reste malgré tout en tête en comparaison internationale. La formation professionnelle joue un rôle essentiel à ce titre, comme le montrent notamment les statistiques cantonales: plus il y a de jeunes en formation professionnelle, et plus le taux de diplômées et diplômés du degré secondaire II est élevé.

La formation professionnelle comme facteur de motivation

Non seulement la formation professionnelle a un lien certain avec le taux de certification, mais elle l’explique en grande partie. Quel que soit le système éducatif, à la fin de la scolarité obligatoire, une bonne partie des jeunes sont lassés de l’école. Les pays qui misent sur un système essentiellement académique dissuadent ainsi bon nombre de jeunes à ce moment charnière. La possibilité de combiner l’apprentissage scolaire avec la pratique professionnelle et de permettre d’entrer rapidement dans le monde des adultes apporte au contraire une certaine stabilité, et les jeunes sont plus motivés à poursuivre leur formation.

À cela s’ajoute le fait que la formation professionnelle est pour beaucoup l’occasion de mettre à profit et de développer des talents qui ne sont que peu, voire pas du tout considérés dans l’enseignement de la culture générale. Pour les jeunes qui auraient eu des résultats médiocres voire qui se seraient retrouvés en échec dans le cursus académique traditionnel, l’apprentissage est une réussite sur le plan professionnel mais aussi éducatif. Ces personnes sont ensuite beaucoup plus enclines à poursuivre leurs parcours de formation.

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Taux de maturité bas, taux de certification du degré tertiaire élevé

On comprend ainsi pourquoi la Suisse, bien qu’elle affiche l’un des taux de maturité gymnasiale les plus bas parmi les pays de l’OCDE, se démarque par un taux de certification du degré tertiaire supérieur à la moyenne. À première vue, on pourrait penser que ces taux sont incompatibles, alors qu’ils sont en réalité étroitement liés.

Dans de nombreux pays, des jeunes qui ont pourtant obtenu leur maturité se voient exclus de l’enseignement tertiaire. Ils ne disposent pas des connaissances nécessaires et se heurtent à un numerus clausus, qu’il soit prévu explicitement ou non, ou décident d’eux-mêmes de ne pas poursuivre sur cette voie après avoir vécu des expériences de formation décevantes. Bien souvent, les possibilités de rejoindre une formation du degré tertiaire sont insuffisantes et le système de formation professionnelle n’est ni fonctionnel ni de qualité, ce qui laisse beaucoup de jeunes sans perspectives. En Suisse, en revanche, nombre de jeunes qui n’auraient pas continué leur formation ailleurs parviennent tout de même à obtenir un diplôme du degré tertiaire. Ce taux de certification supérieur à la moyenne s’explique en grande partie par le fait que la formation professionnelle a apporté à ces personnes la motivation et le sentiment de réussite dont elles avaient besoin pour poursuivre leur parcours de formation.

Pluralité, perméabilité, qualité et sélection

Un cadre institutionnel adapté est essentiel si l’on souhaite que la formation professionnelle apporte une réelle contribution à la mobilité sociale et économique. Pour ce faire, quatre éléments s’imposent. Premièrement, les offres de formation au degré tertiaire doivent être plurielles; elles ne doivent pas se cantonner aux universités, mais englober également les hautes écoles spécialisées et la formation professionnelle supérieure. Deuxièmement, la perméabilité doit être marquée et permettre de changer de filière de formation même après la scolarité obligatoire. C’est le seul moyen d’éviter les impasses, qui dévalorisent la formation professionnelle et qui décourageraient d’emblée des jeunes pourtant talentueux. Troisièmement, les formations doivent systématiquement être orientées vers la qualité et l’employabilité, ce qui garantit des revenus élevés et comparables compte tenu du nombre d’années de formation, et ce, que la formation soit donnée par une université, une haute école spécialisée ou dans le cadre de la formation professionnelle supérieure.

Et quatrièmement, le système de formation doit définir des critères de sélection directement axés sur les attentes du marché du travail. Les systèmes de formation reposant sur un modèle de formation générale uniformisé tendent à faire reposer les décisions de sélection sur des disciplines scolaires qui n’ont souvent que peu d’importance pour le marché du travail. En revanche, la formation professionnelle duale implique directement les entreprises dans la définition du contenu de formation, de même que dans la sélection des jeunes. C’est ce qui garantit que les personnes diplômées répondent aux attentes du marché du travail et que les diplômes en question facilitent réellement la mobilité économique. Les systèmes privilégiant la formation générale, quant à eux, sont souvent déconnectés du marché du travail. S’ensuivent des situations où des personnes qui ont très bien réussi leurs études ne parviennent pas à trouver un poste qui leur permette de mettre à contribution leurs compétences.

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Un tremplin vers la reprise d’une société

Les deux premières affirmations montrent que la formation professionnelle, contrairement aux idées reçues, ne joue pas qu’un rôle secondaire dans la mobilité, mais crée en réalité les conditions essentielles à cette dernière. Et c’est là qu’intervient une troisième affirmation: la mobilité économique est aussi possible sans formation au degré tertiaire et, inversement, une telle formation n’est pas forcément synonyme de revenus plus élevés.

On le voit en particulier avec la formation professionnelle, qui ouvre la voie à une indépendance réussie. Il n’est pas question ici des promesses, parfois creuses, que fait miroiter l’auto-entrepreneuriat, mais bien de la possibilité réelle de monter, de développer ou de reprendre une entreprise. L’évolution démographique y est d’autant plus favorable: avec le passage à la retraite de la génération du baby-boom, on estime que, chaque année, 15 000 entreprises suisses recherchent une solution pour assurer leur succession. Nombre de ces entreprises sont actives dans le domaine de l’artisanat ou celui des services, dans lesquels les qualifications académiques sont généralement peu répandues.

De belles opportunités se présentent ainsi aux jeunes professionnelles et professionnels. Les personnes qui accomplissent un apprentissage et qui le complètent par un diplôme de la formation professionnelle supérieure peuvent devenir propriétaires d’une entreprise, et ce, même à un jeune âge. Lorsqu’on réussit dans cette voie de l’indépendance professionnelle, les revenus sont souvent plus élevés que ceux que touchent en moyenne les titulaires d’un diplôme académique. On peut donc imaginer sans peine que la formation professionnelle va favoriser la mobilité sociale dans un avenir proche, au lieu de la freiner.

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La mobilité fonctionne, non pas malgré, mais bien grâce à la formation professionnelle

La Suisse se distingue donc des autres pays par une mobilité économique particulièrement marquée. On peut en déduire, à la lumière de ce qui précède, que cette situation est possible non pas malgré l’essor notable de la formation professionnelle duale, mais bien grâce à elle. Elle permet en effet aux personnes concernées de développer toute une variété de talents qui ne sont pas encouragés ni même considérés dans les systèmes classiques qui privilégient la formation générale. Par ailleurs, elle motive des jeunes qui, malgré leurs capacités et leur envie de s’investir, ont davantage besoin d’incitations extérieures pour apprendre.

Dans un système de formation pluraliste et perméable comme celui de la Suisse, le choix de se tourner vers une formation professionnelle ne signifie généralement pas faire une croix sur la voie plus longue des études supérieures, devenue indispensable pour accéder à de nombreuses professions et carrières bien rémunérées. Compte tenu de la pression démographique et des développements technologiques qui s’annoncent, pour ne pas nommer l’intelligence artificielle, il est fort probable que la formation professionnelle gagne encore en importance ces prochaines années. Elle permettra certes d’encourager la mobilité sociale, mais aussi ne serait-ce que de la rendre possible dans bien des cas.

*Les opinions exprimées par les auteurs invités ne reflètent pas nécessairement la position de la CDIP.

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